Moutier fait sa mue pour devenir jurassienne
Pas simple pour une commune de 7400 âmes de changer de canton. Les autorités de Moutier, encore bernoise jusqu’à fin 2025 mais normalement jurassienne dès 2026, en font l’expérience. La population s’interroge aussi.
«Les commune bernoises et jurassiennes remplissent à peu près les mêmes missions», résume avec sérénité Valentin Zuber, président de la délégation du Conseil communal de Moutier aux affaires jurassiennes. Et à ce titre impliqué dans l’opération de transfert du canton de Berne vers celui du Jura. Une transition effective au 1er janvier 2026 si les parlements des deux cantons et l’Assemblée fédérale entérinent à leur tour ce changement d’appartenance.
Pour rappel, à fin mars 2021, la population de Moutier a décidé dans les urnes de se rallier au Jura avec près de 55% de oui, au détriment de Berne. Depuis le résultat de cette votation et même si des rancœurs surgissent encore ici et là, «peu d’habitants ont quitté la commune, une dizaine à peine», estime Valentin Zuber. «Un chiffre vraisemblablement sous-estimé», selon le camp anti-séparatiste. Mais d’autres départs pourraient être enregistrés. «Des personnes qui ne souhaitent pas vivre dans le Jura», synthétise-t-il. Autre face de la médaille, Valentin Zuber s’attend aussi à l’arrivée de nouveaux habitants. «Notamment des Jurassiennes et Jurassiens qui ont fait leur carrière dans de grandes villes et qui envisagent de s’établir dans le Jura pour leurs retraites.»
Social et urbanisme
Chicanes administratives, synchronisation des agendas politiques, reprise de biens immobiliers bernois, requêtes en tout genre de la population. Le fardeau à porter pour réaliser cette opération en douceur n’est pas mince pour les autorités communales. Deux changements fondamentaux apparaissent. L’un qui aura une incidence directe et négative sur le personnel. «Nous n’aurons plus de service social à Moutier dans trois ans», concède Valentin Zuber. Le personnel touché, soit aujourd’hui 26 personnes entre plein-temps et temps partiel dont des pendulaires habitant déjà le Jura, se verra proposer des postes équivalents dans l’administration jurassienne. «Une procédure commune au Jura et à Moutier a été créée en matière de ressources humaines (RH) pour accompagner de tels cas», garantit-il.
Un autre bouleversement ouvre des perspectives plus attrayantes. Moutier aura à l’avenir la main sur le secteur de l’urbanisme, de l’aménagement du territoire et des permis de construire. Un dicastère du ressort cantonal sous régime bernois. «Nous allons pouvoir ainsi créer notre propre service, faire parler nos sensibilités, avoir notre mot à dire», énumère l’élu. Pour le reste, une foule de détails sont à régler et la population n’est pas avare de questions. Dont l’une, récurrente, a trait au nombre de jours fériés qui diffère entre la Berne protestante et le Jura catholique.
Questions pragmatiques
«On va quitter un canton avec l’un des taux les plus bas de jours fériés pour rejoindre l’un de ceux, avec Soleure, qui en compte le plus», indique Valentin Zuber. Dix dans le canton de Berne contre pas loin d’une quinzaine dans celui du Jura. «A partir de quand en bénéficiera-t-on?», s’interrogent des autochtones. Dans le commerce de détail, on s’en inquiète plutôt. Jusqu’à proposer un report pour ne pas prétériter les affaires. Une situation ubuesque puisque Jurassiennes et Jurassiens apprécient et apprécieront sans doute encore jusqu’à fin 2025 se rendre à Moutier… pour faire leurs emplettes durant leurs jours fériés.
«La population nous pose des questions très terre-à-terre avec des conséquences quotidiennes, loin des grands enjeux sociétaux qui nous préoccupent.»
Autre changement pour les bars et dancings. La loi jurassienne sur les auberges y est moins libérale qu’à Berne, catholicisme oblige. Dans le Jura, on ne danse pas les jours de fêtes religieuses. Comme on n'y lave pas sa voiture le dimanche. Autre différence notoire: la vente d’alcools dans les stations-service n’y est pas autorisée. «La population nous pose des questions très terre-à-terre avec des conséquences quotidiennes, loin des grands enjeux sociétaux qui nous préoccupent», analyse Valentin Zuber.
Aggiornamento à l’école
La nouvelle appartenance désoriente aussi les milieux scolaires, l’école étant du ressort cantonal. Nombre d’enseignants se questionnent quant à leurs futurs statuts et salaires car de gros changements sont à prévoir d’un point de vue organisationnel. «Les directions d’école ne tiennent pas le même rôle dans le Jura et à Berne. Tout en suivant le plan d’étude, ces dernières conservent une grande liberté pédagogique côté bernois. Tandis que dans le Jura, l’enseignement se rapproche plus de la Suisse romande et de la France. Un service plus hiérarchisé au pouvoir quasi incontournable», résume Pierre Sauvain, chargé de l’éducation au Municipal de Moutier.
«On devra vite donner des réponses aux personnes concernées, car en cas d’incertitudes, des enseignants pourraient être tentés d’aller s’engager ailleurs.»
L’échelle des salaires est également différente. «En début de carrière, l’enseignant jurassien gagne davantage, mais le cours s’inverse ensuite avec des différences qui peuvent s’avérer parfois conséquentes. On devra vite donner des réponses aux personnes concernées, car en cas d’incertitudes, des enseignants pourraient être tentés d’aller s’engager ailleurs», prévient-il. Pierre Sauvain rappelle toutefois les promesses du Jura: pas de licenciement, pas de baisse de salaire. Une phase de transition pourrait être mise en place pour les professeurs avec le plus d’ancienneté, alors que les nouveaux seraient engagés au barème jurassien. Enfin, le Jura n’engage pas d’enseignants sans formation idoine, alors que Berne ne rechigne pas à en recruter, confronté à une pénurie.