La fusion ou l’art de redorer son blason
Les armoiries communales font l’objet d’une attention particulière lorsque les communes choisissent d’unir leur destin. S’il est possible de faire preuve de créativité, la science héraldique répond à des critères parfois méconnus.
Elles ornent les entrées des localités et les frontispices des hôtels de ville. Mais lorsqu’il y a fusion entre deux voire, plusieurs communes qu’advient-il des armoiries? Dans le cadre d’une convention de fusion, c’est le rôle du Conseil d’Etat de valider le blasonnement d’une nouvelle commune. Archiviste aux Archives cantonales vaudoises, Jérôme Guisolan s’étonne parfois lorsqu’il doit donner son préavis à propos d’un projet d’armoiries. «Certaines communes font appel à la créativité de leurs habitants et il n’est pas rare de voir ici ou là des dessins d’enfants. C’est joli, mais cela ne respecte souvent pas les règles héraldiques», observe-t-il. Jérôme Guisolan aménage alors certaines propositions d’armoiries pour leur permettre de satisfaire aux règles héraldiques. «Il y a quelques années, quelqu’un nous a proposé un dégradé du jaune au bleu alors qu’en héraldique un trait de partition délimite toujours deux émaux. Nous lui avons fait une proposition en ce sens», poursuit-il. A mesure que les processus de fusion augmentent, les responsables politiques sont de plus en plus attentifs à l’art du blasonnement. «Ils n’hésitent plus à faire appel à un héraldiste», remarque Jérôme Guisolan.
C’est d’ailleurs le cas de la nouvelle commune de Blonay – Saint-Légier qui a fusionné le 1er janvier 2022. «Les deux anciennes municipalités se sont rapidement mises d’accord sur les nouvelles armoiries, sur la base du préavis du groupe de travail chargé du dossier, mais des contestations sont venues après coup de la part de certains citoyens», indique Jean-Marc Guex, secrétaire municipal adjoint. Ce n’est pas faute d’avoir communiqué à la population, puisque plusieurs séances d’information publique ont été organisées. Quant à la nouvelle signalétique pour les services de la voirie et sur la voie publique, elle se fera en plusieurs étapes au cours des prochains mois.
Symboliser une nouvelle unité
Dans un article publié dans le journal communal, le graphiste et héraldiste Olivier Delacrétaz explique que «les cœurs entrelacés sont un symbole parlant pour une fusion». Il ajoute que le nouveau blason doit évoquer les communes fondatrices tout en symbolisant avec force la nouvelle unité.
Après avoir fusionné avec Les Brenets, la commune du Locle a choisi de revoir, elle aussi, le blasonnement de ses armoiries. Selon Patrick Martinelli, chancelier de la ville, les armoiries rappellent à la fois les deux anciennes communes et leur choix de s’unir administrativement. «Concrètement, les armoiries reprennent le damier et les losanges figurant dans les armoiries des deux actuelles communes. La bande bleue au centre est destinée à représenter le Doubs et le Bied qui arrosent les deux communes actuelles. Cette évocation d’eau est enfin bordée du vert des sapins figurant également sur les armoiries actuelles des deux communes», commente le chancelier.
Selon Gaëtan Cassina, professeur émérite d’histoire à l’Université de Lausanne et membre de la Société Suisse d’Héraldique, les armoiries lient le destin de deux communes pour créer une nouvelle identité. «Il faut savoir ce qu’on veut y mettre et de quoi on veut tenir compte, précise-t-il. Et là, plusieurs solutions sont possibles. A l’image de Blonay – Saint-Légier ou du Locle, on peut combiner les anciennes armoiries en associant des objets de l’une et de l’autre.»
A partir du moment où il y a plus de trois communes qui fusionnent, le blasonnement devient complexe. Les héraldistes préfèrent alors créer de nouvelles armoiries pour éviter d’avoir trop d’éléments. La nouvelle commune de Hautemorges, par exemple, a décidé de symboliser la fusion de ses six localités par six épis de blé. «Ces éléments se retrouvent sur du papier à en-tête, considère Cédric Delapraz, graphiste et héraldiste chevronné. On évite les hachures qui sont pratiquement illisibles. Si on stylise trop un dessin, il devient un objet géométrique.»
Lors d’une fusion, il est également possible de conserver le blasonnement de la plus grande commune, comme à Chavornay. Après avoir fusionné avec Essert-Pittet et Corcelles-sur-Chavornay, la nouvelle commune a décidé de conserver le blasonnement de celle qui comptait le plus grand nombre d’habitants.
Des communes avant-gardistes
En héraldique, on peut conserver un style classique, mais certaines communes souhaitent disposer d’un blasonnement plus moderne sans entrer dans l’excès. La commune de Rovray lorsqu’elle a fusionné avec sa voisine d’Arrissoules a décidé de placer un meuble tout à fait original dans ses armoiries, à savoir le tunnel autoroutier d’Arrissoules sur l’A1. «En termes héraldiques, ce n’est pas faux. On pourrait par exemple insérer un éléphant rose sur un blason», explique Cédric Delapraz. L’essentiel, c’est de respecter les règles formelles de l’héraldique.
Des règles qui se conservent comme des trophées
Un blason doit respecter plusieurs règles en ce qui concerne le traitement des partitions (divisions de l’écu), des pièces (éléments fixes), des meubles (éléments mobiles) et des émaux (couleurs et métaux). Selon Cédric Delapraz, il doit pouvoir être blasonné, ce qui signifie qu’il doit pouvoir être traduit en texte. Inversement, il doit pouvoir être reconstitué, sans risque d’erreur, à partir de ce texte. Un blason doit également être reconnaissable de loin. Il doit être à la fois simple, lisible, original et si possible de bon goût.
Un peu d’histoire héraldique
Les premières armoiries apparaissent durant les croisades du XIIe siècle. «Il s’agissait d’un moyen d’identification occidentale sur les champs de bataille, explique Gaëtan Cassina, professeur émérite d’histoire à l’Université de Lausanne et membre de la Société Suisse d’Héraldique. On les voit sur les drapeaux, mais les supports les plus courants sont l’écu et le bouclier. On les retrouve aussi dans les tournois, un sport qui prépare à la guerre, même si ce n’est pas l’usage exclusif.» Selon le professeur, il s’agit d’un signe de propriété et d’un moyen de se présenter. On le généralise ensuite aux dames et à la classe supérieure de la société civile et des bourgeois.
Au Moyen Age, les armoiries dédiées aux communautés sont utilisées lors d’un assujettissement à un seigneur ou à un évêque en Europe centrale, en Allemagne, en France et en Angleterre. A part dans les communes qui possèdent des droits comme Sion, qui voit très tôt apparaître des sceaux, peu sont dotées d’armoiries durant cette période, ajoute Gaëtan Cassina. Autre exemple: Moudon possède elle aussi ses propres armoiries puisqu’elle est la capitale du Pays de Vaud avant la Réforme.
La grande vague d’armoiries apparaît tardivement à partir de l’exposition nationale de Zurich qui a lieu en 1939. «Toutes les communes ont dû transmettre des petits fanions. Il y a eu tout un embrouillamini, mais elles avaient d’autres soucis à ce moment-là. Les communes ont regardé dans les livres d’histoire et ont pris les armoiries des barons. C’est ainsi que la Gruyère a repris les armoiries du comte de Gruyère», poursuit Gaëtan Cassina.
C’est en 1941, lors du 650e anniversaire de la Confédération, que les armoiries communales vont être prises vraiment au sérieux et seront considérées plus que de simples drapeaux.