La clé est de choisir très tôt les matériaux
Les constructions en bois suisse ont le vent en poupe. Les maîtres d’ouvrage publics misent de plus en plus sur cette matière première durable, qui présente de multiples avantages, mais aussi certaines difficultés. Nous dressons ici un état des lieux.
Küttigen, dans le canton d’Argovie: cette commune moyenne d’environ 6600 habitants prévoit de construire une école enfantine. Küttigen possède une stratégie immobilière durable à long terme, alignée sur la conception directrice existante en matière d’énergie. C’est pourquoi le bois a rapidement été évoqué comme matériau pour la nouvelle école. La faisabilité technique de ce mode de construction ayant été confirmée par les représentants du canton, la commune a ensuite décidé de procéder à des études approfondies.
Pour le projet de Küttigen, il était essentiel de savoir si l’entreprise forestière de la commune pouvait fournir la quantité de bois nécessaire. La question a pu être tranchée rapidement: l’exploitation innovante Forstbetrieb Jura, qui regroupe trois communes, a volontiers apporté son soutien et pourra fournir à partir de son propre triage forestier les 2200 mètres cubes de bois nécessaires selon les estimations.
Fixer au plus tôt le choix des matériaux
De l’expérience faite lors d’un précédent projet, la commune avait tiré l’enseignement qu’il faut choisir les matériaux le plus tôt possible pour la construction d’un nouveau bâtiment. Le programme du concours portant sur les études et la réalisation contenait donc déjà la formule suivante:
«Construire en bois est une option évidente: le bois est un matériau familier aux enfants. La commune de Küttigen est également propriétaire de forêts exploitées par l’entreprise Forstbetrieb Jura (Densbüren, Erlinsbach, Küttigen, forêt domaniale d’Argovie). En utilisant du bois de la région, la Commune de Küttigen souhaite créer de la valeur au niveau local et garantir une construction durable. La qualité du climat ambiant et la flexibilité du matériau qui permet une grande liberté de formes constituent des atouts supplémentaires, notamment lorsqu’il s’agit de constructions destinées aux enfants et aux adolescents. Le bois est un matériau renouvelable qui assure une qualité de construction élevée tout en remplaçant des matériaux à impact environnemental plus important. La Commune de Küttigen compte sur l’emploi de bois issu de ses propres ressources forestières (Forstbetrieb Jura) pour la construction de l’école enfantine et de la structure de jour. Le bois provient de notre propre forêt et nous exigeons du prestataire qu’il utilise ce bois appartenant à la commune comme matériau de construction.»
En outre, une mesure de remplacement a été prévue dans l’éventualité où le bois fourni ne pourrait pas être livré à l’entrepreneur concerné de manière appropriée en termes de quantité, de qualité ou de délai. Il est ainsi possible, en cas de nécessité, de recourir à du bois suisse d’une autre provenance, avec reprise ultérieure des grumes de la commune sans flux de trésorerie supplémentaire. Ce système de crédit pour le bois est expliqué dans la brochure «Lignum Compact – Le bois suisse dans les appels d’offres» éditée par Lignum. Il permet de garantir que la quantité de bois suisse requise est disponible à tout moment. Le choix des matériaux dès le début de l’étude de projet est donc une décision-clé pour pouvoir construire avec du bois suisse ou son propre bois.
Droit des marchés publics révisé: quelles conséquences pour les constructions en bois?
En 2021, la loi fédérale révisée sur les marchés publics (LMP) est entrée en vigueur. La concurrence axée sur la qualité y est nettement renforcée par la prise en compte de critères tels que la durabilité, les coûts du cycle de vie, l’innovation, la plausibilité de l’offre ou encore la fiabilité du prix. Le marché est désormais attribué à l’offre «la plus avantageuse» et non plus à l’offre «la plus profitable économiquement». L’abandon de la pure concurrence par les prix sur les marchés publics s’inscrit dans la tendance internationale vers une concurrence axée sur la qualité, qui prend en compte l’ensemble du cycle de vie.
Dans le cas d’une construction en bois, il est particulièrement important que les adjudicateurs publics respectent le principe de non-discrimination pour ce qui est des valeurs seuils, conformément à l’Accord sur les marchés publics (AMP) de l’OMC. Ils peuvent cependant toujours choisir librement le matériau de construction, sans exception. Ils ont ainsi la possibilité, dans une décision de principe, de fixer comme condition un mode de construction en bois. Lorsque l’échange de prestations et de contre-prestations relève de la même entité juridique, on parle de marché in-house. Ce type d’attribution qui n’est pas soumis au droit des marchés publics (art. 10, al. 3, LMP/AIMP) ne fait donc pas l’objet d’un appel d’offres, mais doit être défini par l’adjudicateur comme une condition à remplir dans le cadre de l’attribution.
Une commune construisant un bâtiment avec le bois de sa propre forêt remplit cette condition. Il en va de même pour l’achat par l’intermédiaire d’un prestataire contrôlé par les pouvoirs publics, qui n’est pas un acteur du marché et dont la commune fait partie (comme une entreprise forestière ou de transformation, ou un groupement à but déterminé).
Du bois issu de la région: un vecteur d’émotions
Outre le cadre juridique, des critères «subjectifs» pèsent en faveur de la décision de principe de construire avec du bois suisse. Dans le cas de l’école enfantine de Küttigen, l’un des facteurs déterminants était la volonté de renforcer la chaîne de valeur régionale. La construction en bois permet en effet d’atteindre cet objectif de manière exceptionnelle grâce à des trajets courts de transport des matériaux et à la collaboration avec des artisans locaux et régionaux. Nous verrons cet été si les habitants de Küttigen sont également favorables au choix du bois pour la nouvelle école: c’est en juin que l’assemblée communale prendra sa décision sur le dossier. Du côté de la commune, l’heure est à l’optimisme (prudent), aucune voix hostile au projet de construction ne s’étant fait entendre jusqu’ici au sein de la population.