Des partenariats pour franchir la frontière linguistique
Les Bas-Valaisans s’intéressent généralement peu à ce qu’il se passe dans le Haut-Valais – et vice versa. Les pactes d’amitié conclus entre les communes francophones et germanophones ont pour vocation de réduire ce fossé culturel.
Stéphane Ganzer, président de la commune de Noble-Contrée et élu siégeant au Parlement du canton du Valais depuis 2009, enseigne l’histoire et la géographie au lycée St-Maurice. Et, chose importante, il sait que la cohésion cantonale n’est pas au mieux de sa forme dans le Valais. «Les relations entre les deux régions du canton sont très limitées. Dans mon travail, je me rends régulièrement compte que mes élèves en savent très peu sur le Haut-Valais. En fait, c’est un ‹territoire inexploré› pour eux», nous explique-t-il.
Raison pour laquelle il plaide pour le bilinguisme du canton, qu’il faut considérer non pas comme un obstacle, mais comme une véritable opportunité. Il incombe à la commune de saisir cette opportunité, estime Ganzer, qui a sa petite idée sur la manière dont cela peut se faire: «De nombreuses communes du Valais ont déjà conclu des partenariats avec d’autres villages et villes en Suisse ou en Europe. Pourquoi ne pourrait-on donc pas conclure des partenariats avec des communes de l’autre région du canton?», se demande-t-il de manière purement rhétorique. Selon lui, il y a à peu près autant de communes à l’ouest et à l’est de la frontière linguistique. Les villages de montagne et les communes situées en vallée, bien que proches géographiquement, sont néanmoins majoritairement inconnues de l’autre région du canton – bref, un «territoire inexploré».
Naissance du premier «pacte d’amitié»
En 2017, Ganzer dépose donc un postulat avec trois autres parlementaires cantonaux. Pour renforcer la cohésion cantonale, le Gouvernement valaisan doit alors favoriser et accompagner les partenariats intercantonaux entre les communes. Dans le cadre de ce «pacte d’amitié», comme il est appelé en français, les deux communes liées d’amitié doivent entretenir différents échanges: entre les conseils municipaux, les écoles, les associations, les seniors.
«Le fait est que nous vivons dans un canton bilingue, et que les Haut-Valaisans et les Bas-Valaisans ne se connaissent généralement que bien trop peu. Les avantages offerts par le bilinguisme ne sont pas assez mis à profit.»
Cette initiative indépendante des partis étant considérée politiquement correcte et «très adéquate» par le Gouvernement valaisan, le postulat a été renvoyé pour exécution sans aucune opposition. Ce qui est loin d’être évident dans un canton où la minorité germanophone (environ un habitant sur quatre seulement parle allemand) se sent souvent délaissée, et dans lequel on entend régulièrement des appels populistes à la division du canton en deux demi-cantons.
Une fois le postulat adopté, Stéphane Ganzer a naturellement voulu poursuivre sur cette voie en tant qu’initiateur du projet et président de la commune. Il a alors contacté le président de la commune de Saas-Fee, et quelques mois plus tard, le premier «pacte d’amitié» entrait officiellement dans les faits. «Nous avons convenu de parler la langue locale à chacune de nos rencontres», explique Ganzer. Pour les invités, cela exige certes un certain effort, mais au final, cela fonctionne. Depuis, les échanges ne se sont pas limités aux conseils municipaux des deux villages. Car même les élèves des écoles ont réalisé leur sortie d’automne sur le territoire de l’autre commune; et on envisage des matchs de football et des excursions des clubs, comme par exemple une rencontre entre les deux chorales.
Un guide pour les communes intéressées
Dans l’intervalle, d’autres «pactes d’amitié» ont été conclus dans le Valais. Situé à seulement quelques minutes en voiture de Noble-Contrée, Crans-Montana a passé un pacte d’amitié avec la Commune de Fiesch. A son tour, la Commune de Chalais s’est maintenant liée d’amitié avec Granges, Grône avec Loèche-les-Bains, Icogne avec Ernen et Anniviers avec Naters. Prochainement, les autorités cantonales valaisannes souhaitent publier un guide destiné aux autres communes intéressées.
La présidente de la commune de Naters, Charlotte Salzmann-Briand, s’exprime à ce sujet: «Le fait est que nous vivons dans un canton bilingue, et que les Haut-Valaisans et les Bas-Valaisans ne se connaissent généralement que bien trop peu. Les avantages offerts par le bilinguisme ne sont pas assez mis à profit.» Raison pour laquelle au conseil municipal, personne n’a hésité à conclure également un «pacte d’amitié» avec une commune francophone. L’objectif minimum défini est d’organiser au moins une fois par an une rencontre entre les autorités, les écoles, l’administration, la population ou les associations des deux communes. De sorte qu’aujourd’hui, il est prévu de réaliser un échange entre classes qui permettra à quelque 50 élèves du cycle d’orientation de passer une semaine dans l’autre région du canton. Des premiers contacts ont également été noués par courrier au niveau des écoles primaires.
A villages similaires, dossiers similaires
Le partenariat entre Icogne et Ernen est déjà plus avancé. Et il n’est pas le fait du hasard: les deux communes comptent environ 500 à 600 habitants, et dans les deux villages, le tourisme et les redevances hydrauliques ont leur importance. Les conseils municipaux échangent-ils alors entre eux des informations sur la manière d’aborder tel ou tel dossier? Francesco Walter, le président de la commune d’Ernen, fait un geste de dénégation: selon lui, les conseils ne sont pas très utiles – ils sont même le contraire d’un échange d’idées réciproque. Le conseil municipal d’Icogne s’est ainsi posé la question de savoir comment il était possible que plusieurs restaurants soient exploités à Ernen, alors qu’il n’y en avait plus aucun à Icogne.
«Pourquoi ne pourrait-on donc pas conclure des partenariats avec des communes de l’autre région du canton?»
Inversement, leurs homologues d’Ernen ont par exemple échangé avec le conseil municipal d’Icogne quant au projet de nouvelle constitution cantonale, et ont expliqué aux Bas-Valaisans pourquoi la minorité haut-valaisanne voulait y inclure des garanties de représentation dans les organes politiques. Ensemble, ils ont examiné comment le village bas-valaisan coopérait avec les communes environnantes dans le domaine des sapeurs-pompiers. «Nous le faisons également, mais c’est toujours bon de voir comment les autres s’y prennent», indique Walter. Car se rencontrer seulement pour boire un bon petit verre de vin ensemble, cela n’apporte pas grand-chose. «L’idée est de rechercher des aspects communs et d’analyser ce que l’on peut en tirer.»