Des jumelages et des liens d’amitié à préserver
Les jumelages entre communes suisses suscitent peu d’engouement. Ces échanges permettent toutefois de partager un savoir-faire institutionnel et diverses expériences. Les villes d’Yverdon-les-Bains et de Porrentruy l’ont bien compris, puisqu’elles maintiennent des contacts réguliers avec Winterthour et Aesch.
Les jumelages permettent de créer un rapprochement entre deux communes, soit à l’étranger soit en Suisse. Cependant, il est parfois difficile de maintenir des relations amicales sur le long terme. De 2006 à 2013, les communes de Morges (VD) et de Rheinfelden (AG) ont maintenu des liens d’amitié précieux grâce à des échanges scolaires. Au fil des années, ces rencontres se sont essoufflées. «L’enseignant chargé de ces échanges linguistiques est parti à la retraite», regrette Giancarlo Stella, secrétaire municipal de la ville de Morges. S’il n’y a plus de contacts entre les écoliers, ce n’est pas faute d’avoir cherché d’autres pistes. La Commune de Rheinfelden a proposé d’intensifier les échanges culturels avec des artistes morgiens, mais cela n’a jamais abouti. Sur le plan sportif, elle a même approché les organisateurs de la manifestation «Morges bouge». En vain, les autorités communales n’ont pas réussi à transformer le lien qui les unissait en jumelage officiel.
Cependant, les deux communes entretiennent des liens étroits avec d’autres villes au-delà des frontières nationales. Depuis 1957, Morges est jumelée avec Vertou, une ville située dans le département français de Loire-Atlantique. Tous les cinq ans, elles se réunissent pour célébrer leur amitié. Par ailleurs, «les pompiers se rencontrent régulièrement et les clubs de football organisent des matchs avec leurs équipes junior lors du week-end de la Pentecôte», ajoute Giancarlo Stella. Mais alors pourquoi un tel échange ne serait pas envisageable avec Rheinfelden? «Avec les Vertaviens, les échanges sont plus faciles parce que nous parlons la même langue», remarque-t-il. Même son de cloche du côté de Rheinfelden. La commune argovienne fait partie des douze villes fondées par les Zähringen, dont six se trouvent en Suisse et six autres en Allemagne. «En règle générale, une rencontre a lieu une fois par an dans l’une des villes. L’entretien de ce lien a surtout un caractère historique et sert notamment au tourisme culturel», précise Roger Erdin, secrétaire municipal de Rheinfelden.
Entre Samedan (GR) et le Mont-sur-Lausanne (VD), le jumelage n’a lui aussi pas débouché sur des initiatives concrètes et a été dissous en mai 2012. «Après douze ans de partenariat, il a fallu admettre que l’objectif initial – la promotion de la compréhension et des échanges entre les communautés linguistiques de Suisse – n’avait pas été atteint. On n’a notamment pas réussi à étendre et institutionnaliser le contact au-delà du niveau politique, notamment avec les écoles et les associations. L’intérêt de la population a finalement été faible», soutient le secrétaire municipal grison Claudio Prevost.
Directrice de Forum Helveticum, l’association qui œuvre en faveur du plurilinguisme en Suisse, Christine Matthey considère que le jumelage entre deux régions linguistiques permet de dépasser les préjugés. «Un jumelage est une bonne façon de se rapprocher d’une autre culture helvétique. Il facilite la réalisation d’échanges linguistiques entre écoles, mais aussi entre groupes culturels et institutions politiques. Il crée un cadre propice au partage et des ponts que les diverses institutions et entités d’une commune peuvent emprunter plus simplement. Cela offre un partenaire logique et accessible à tout type de partage.»
Des échanges privilégiés
Deuxième ville du Canton de Vaud, Yverdon-les-Bains a proposé un jumelage à Winterthour, également deuxième ville du Canton de Zurich, lors d’une rencontre au Comptoir Suisse à Lausanne à la fin des années 1960. Le jumelage a été officiellement conclu le 15 juin 1969. En 2019, les deux villes célébraient leur amitié. A cette occasion, des bouteilles de bières spéciales à l’effigie du jubilé ont été commandées par les autorités communales yverdonnoises. «L’objectif principal est d’échanger des expériences entre des environnements géographiques et politiques différents, de faire tomber les barrières et les préjugés et de développer les liens», indique le syndic Pierre Dessemontet. Les événements tels qu’anniversaires et inaugurations sont célébrés à chaque occasion. Un échange par «relation» est organisé au moins une à deux fois par législature.
Par ailleurs, «les villes sont à la fois les principales impactées par les changements sociétaux, climatiques et économiques, mais forment également les principaux moteurs de réponses publiques innovantes à ces évolutions. Nous croyons fermement que c’est en cultivant des relations d’échanges solides entre les zones urbaines confrontées aux mêmes enjeux que nous pourrons y faire face de manière constructive», poursuit l’édile.
De plus, il arrive que ces liens soient revivifiés par des initiatives personnelles. L’été passé, un journaliste de Winterthour a passé quelques jours à Yverdon-les-Bains pour rédiger un article sur la «ville jumelle».
A une heure de train
Du côté du jumelage de Porrentruy (JU) et d’Aesch (BL), les descendants du Prince-Evêque Blarer de Wartensee – l’homme a façonné la ville de Porrentruy au XVIIe siècle – ont fait le premier pas. Le contact a été établi lors d’un spectacle consacré à cette figure historique au château de Porrentruy. Le jumelage a été signé le 21 juin 2009. «L’idée est de faire participer les habitants des deux communes aux fêtes et aux manifestations de l’une et de l’autre», commente François Valley, chancelier de Porrentruy. Elles se réunissent notamment à la braderie et à la fête de la Saint-Martin à Porrentruy et à la fête de la vigne et au marché de Noël à Aesch. Des échanges de classes au niveau primaire, ainsi que des échanges entre apprentis commerciaux ont également lieu.
Quant à la langue, les habitants des deux communes adoptent le système confédéral. «En principe, chacun s’exprime dans sa langue. Si l’activité se déroule à Aesch, les gens de Porrentruy essaient de s’exprimer en allemand et inversement. Les contacts sont facilités si les gens maîtrisent les deux langues», confie le chancelier. Bien qu’Aesch soit située à une heure de train, la situation liée à la pandémie n’a pas facilité les contacts. Certaines activités comme les échanges scolaires ont été annulées. Selon la Chancellerie de Porrentruy, ces relations se trouvent actuellement dans une phase de transition, car les pionniers du jumelage se sont retirés de la vie politique. Il faut donc recréer des liens d’amitié et maintenir l’intérêt pour ces activités.
De l’engagement, de la motivation et des moyens
Les jumelages de communes sont nés après la Seconde Guerre mondiale pour favoriser le rapprochement entre les communautés d’Europe. Selon Forum Helveticum, la Suisse avait certainement tout intérêt à adhérer à une telle dynamique, sans que sa neutralité soit pour autant remise en cause. L’idée était d’aider à reconstituer la paix entre les pays. «Aujourd’hui, on parle plus volontiers de partenariat intervilles ou inter-communes, orientés sur des projets concrets d’échanges, en particulier pour les jeunes, de développements d’actions communes, par exemple en faveur de l’aide au développement, de réalisation de divers projets communs, comme des tournées d’artistes d’une des communes dans l’autre», explique Laurent Wehrli, conseiller national et ancien président de l’Association suisse du Conseil des communes et régions d’Europe (ASCCRE) qui s’est dissoute en décembre 2021. «Il y a de nombreuses raisons de mettre sur pied un jumelage ou un partenariat. Il faut évidemment que cela réponde à un besoin ou à un avantage supplémentaire pour les habitants des entités concernées», poursuit-il. S’il n’y a pas de loi ou de règlement contenant des exigences à remplir, le conseiller national reconnaît qu’il faut un ou plusieurs objectifs clairs, de la motivation, de l’engagement, y compris bénévole, et des moyens.