Christelle Luisier Brodard, portrait d’une femme de pouvoir
Politique, femme et mère, élue le 9 février 2020 dès le premier tour avec près de 56% des voix, elle accède au Conseil d’Etat vaudois, un collège majoritairement féminin. Retour sur 20 années de parcours politique d’une femme engagée.
Madame la conseillère d’Etat nous accueille dans son bureau en face du «château». C’est dans un bâtiment quasiment vide - pandémie oblige - que notre entretien a lieu. Une période bien particulière qui aura marqué le début de son mandat: une entrée en fonction en mars 2020 revêt bien entendu un caractère particulier. Revenons donc à rebours sur le parcours de cette femme de pouvoir; une femme qui prouve par son engagement politique et associatif qu’il est possible, non sans certains sacrifices, de mener de front un parcours politique, une vie de femme et de mère.
Une conseillère d’Etat à l’écoute des communes vaudoises
Christelle Luisier accède à 46 ans à la plus haute fonction cantonale: le Conseil d’Etat vaudois. Cette PLR payernoise fait partie d’un collège qui scompte une écrasante majorité féminine (cinq femmes sur sept membres). Cette élection n’est pas un hasard, mais le résultat de plus de 20 années d’engagement politique. A la tête du Département des institutions et du territoire (DIT), la nouvelle conseillère d’Etat apporte dans ses valises plusieurs projets lui permettant de tisser un lien particulier avec les 300 communes vaudoises: un tour du canton de Vaud, une campagne en ligne pour encourager l’engagement milicien en prévision des élections communales de mars 2021 et la mise en place d’un appui pour les communes pour préparer les politiques de développement durable via le Bureau de la durabilité, rattaché au DIT.
Une syndique multitâche
Madame Luisier a été à la tête de Payerne de 2011 à 2020. Une fonction passionnante et prenante, qui va bien au-delà du simple travail de dossier, mais qui a un impact quotidien sur la vie publique, politique et privée. Le tarif est clair: une «triple journée de travail»; la famille, le travail quotidien et enfin l’engagement associatif au niveau du parti. Cet engagement, Christelle Luisier l’a pris les «yeux grands ouverts». Car pour elle, il est certain que pour faire face à l’ensemble de ses tâches, il n’y pas de solution miracle, les journées ne sont pas extensibles. «Il faut faire des choix.» La question de sa responsabilité de mère est donc abordée: le rôle de parent aux prises avec un mandat politique est presque exclusivement féminin. Une paternité est moins thématisée, alors qu’elle pourrait même assoir une candidature masculine. Plusieurs exemples ont alimenté les journaux ces dernières années avec une question posée à demi-mot: «Mesdames, est-il véritablement possible d’être mère et femme politique professionnelle?» Christelle Luisier y répond sans hésitation: «Oui, mais aux prix de certains aménagements.» Pourtant, ces situations restent minoritaires. La conseillère nationale Isabelle Moret (PLR/VD) a d’ailleurs relevé, lors de sa candidature au Conseil fédéral en 2017, qu’il n’y a jamais eu de maman d’enfants en âge scolaire au Conseil fédéral.
Un mandat à la municipalité: un pari sur l’avenir
Le passage d’un mandat législatif à un mandat exécutif a été un véritable saut dans le vide pour Christelle Luisier. C’est avant tout un choix de carrière, car un tel mandat politique implique un dévouement conséquent qui réoriente forcément un parcours professionnel. Les compétences acquises dans le cadre d’un mandat de milice n’étant d’ailleurs que peu valorisées sur le marché du travail, le métier exercé au préalable devient rapidement accessoire avec les conséquences que cela représente pour une future évolution professionnelle. Ce passage est ainsi accompagné du risque propre à un mandat politique: celui de ne pas se faire réélire. Christelle Luisier reste pragmatique et parle d’une thématique «unisexe», même si cela pourrait représenter un des facteurs qui retient de nombreuses femmes à passer ce cap. Car, si les femmes restent minoritaires dans trois quarts des exécutifs communaux en Suisse, leur représentativité au sein des législatifs est quasi paritaire. Christelle Luisier revient sur cette décision: on ne peut pas être «wonder woman» partout et se lancer dans une carrière politique.
D’une maison de quartier à la présidence du Parti radical
Les premiers engagements associatifs de Christelle Luisier sont apolitiques. La création d’une maison de quartier ou encore son engagement à la paroisse la font entrer dans le «radar» du Parti radical. Elle accède au Conseil communal de Payerne en 1997 et y découvre le travail de milice communale et son univers varié tant par les thématiques traitées lors des séances que par les gens qu’elle côtoie. Quelques mois plus tard, le parti s’approche à nouveau d’elle afin qu’elle se porte candidate à la Constituante vaudoise. Elue, elle y siègera de 1998 à 2002. Etant la plus jeune de la délégation, elle est choisie comme cheffe de groupe. Christelle Luisier parle de cette période avec entrain: un véritable «déclencheur» de sa fibre politique. Elle se risque donc à donner un conseil: être ouverte aux opportunités, savoir construire sur la confiance qu’apporte un parti politique et se faire confiance: «Mesdames lancez-vous!».
Brevet d’avocate, grossesses
Parallèlement à ce chemin de politicienne, c’est aussi un parcours de femme et de mère qui se poursuit avec, en 2002, une première grossesse. Un deuxième enfant ainsi qu’un brevet d’avocat viennent s’ajouter à ce parcours trois ans plus tard: loin d’un long fleuve tranquille. Une réalité sur ces désormais «trois journées»: impossible de tout mener de front. Un premier échec politique l’empêche d’accéder au Grand Conseil vaudois. Mais la fameuse fibre politique reste et Christelle Luisier se portera candidate pour la présidence du Parti radical à un moment marquant de son histoire: la fusion qui donnera naissance au PLR. Un binôme féminin permet une transition efficace et la création d’un des partis les plus influents de la politique suisse actuelle.
Le reste de son parcours: une élection complémentaire à la municipalité de Payerne victorieuse, puis douze années au sein de la municipalité dont neuf ans en tant que syndique de Payerne avant d’atteindre la fonction de conseillère d’Etat.
En conclusion: les quotas, un mal nécessaire?
Alors 50 ans après la votation de 1971, le constat est toujours le même: les femmes sont et restent minoritaires en politique. Ce monde encore et toujours masculin est pourtant en mutation. Les nombreux exemples de parcours féminins fulgurants tels celui de Jacinda Ardern (Nouvelle-Zélande) ou Sanna Marin (Finlande), sans oublier les 15 ans de règne d’Angela Merkel ou la conseillère nationale Ruth Humbel (PDC/Argovie) qui a débuté sa cinquième législature sous la coupole fédérale, continuent d’ouvrir la voie à un engagement féminin soutenu. L’année 2019 a été marquée par une mobilisation sans précédent, une véritable vague violette qui a marqué les esprits. Les femmes sont présentes et engagées, elles portent haut et fort les valeurs d’égalité et font résonner leurs revendications dans les rues de Suisse. Elles seront également entendues par le peuple suisse lors des élections fédérales de 2019: leur représentation a augmenté de 30% pour atteindre 42% des élus, du jamais vu. La moyenne d’âge de la Chambre du peuple est également rabaissée à 49 ans, un record tout autant historique. Mais alors, que manque-t-il pour arriver à parité? Aucune solution miracle n’est de mise, Christelle Luisier s’est d’ailleurs prononcée contre un système de quota. Elle estime qu’il est de la responsabilité des partis de proposer des listes équilibrées et aux femmes de s’engager pour montrer l’exemple à d’autres.
Mais 50 ans après l’obtention du droit de vote pour les femmes, un voeu: que la question de l’engagement féminin «ne soit plus un sujet» et entre définitivement dans la normalité … Parce qu’un Suisse sur deux est une Suissesse.