A pied et en équipe, cheminer vers l’autonomie
Né en 1991 en Australie, le pedibus s’est étendu dans le monde. Il est arrivé en Suisse en 1999 via Lausanne. Santé, développement personnel et social, sécurité, ponctualité: mener un groupe d’enfants à l’école à pied a moult avantages aux yeux des parents qui y participent.
«Une nouvelle semaine qui commence, c’est cool !», s’exclame un garçon. Ce lundi à 07h50, plusieurs enfants sont réunis sous un soleil radieux aux Cadolles, en ville de Neuchâtel. Juan Lopez fait le compte: tout le monde est là, on peut se mettre en route pour les Acacias. Papa de Rose, 9 ans, il coordonne cette ligne depuis deux ans. «Le but, c’est que tous les parents participent. Quand on donne du temps, on aimerait que les autres fassent pareil. En grande majorité, ça se passe bien.» Joe, nouveau venu, prend déjà de l’avance. «Les enfants ont différents rythmes. Assez naturellement, les premiers nous attendent aux endroits stratégiques», affirme Yanick Steiner, la maman de Rose. Le point le plus critique est un rond-point sur la route principale, au sortir duquel les automobilistes mettent les gaz. Les écoliers traversent le passage piétons groupés, bien visibles. «Avant, ils avaient des chasubles, mais à 8 ans, ils n’en veulent plus», note la maman. «On ne rigole pas avec le style, à cet âge», renchérit son compagnon.
Distance équivalente à Suisse-Espagne
Nous récoltons d’autres enfants sur le parcours. Puis ça se gâte. Une ruelle en pente, suivie d’un escalier sans fin … suivi d’un autre escalier. Ce pedibus n’a pas volé sa réputation du plus raide du canton! Essoufflé et en sueur, on entend un enfant lancer: «C’est trop bien de marcher!» Le cumul des trajets sur une année équivaut à la distance Suisse-Espagne, et la montée, à deux-trois fois l’Everest, assure Juan Lopez. Vers la fin, il faut à nouveau traverser la grande route. Cette fois, une patrouilleuse scolaire facilite les choses. Après un ultime escalier, l’école apparaît. Il a fallu 15-20 minutes pour y arriver. «Un aller-retour prend au moins 25 minutes, donc quand je fais quatre trajets sur une journée, ça prend passablement de temps», concède Yanick Steiner. Mais l’expérience est enrichissante. «C’est un chouette moment, les enfants ont parfois des débats animés. Ils font de ces sorties!», raconte-t-elle avec amusement. «On est peut-être accros …»
Le pedibus fonctionne par tous les temps. Mercredi à Chézard, au Val-de-Ruz, Jean ouvre son parapluie rouge. Du haut de ses 5 ans, l’aîné du groupe de quatre bambins endosse le rôle de locomotive alors que son papa Gilles Cérède ferme la marche. Une corde les relie tous, qu’ils tiennent toujours de façon à ce qu’elle les sépare de la route. «Ça fait un peu barrière, et ça matérialise la colonne visuellement», commente le papa. Son fils, d’humeur buissonnière, musarde à gauche et à droite, faisant serpenter tout le groupe. «Jean, regarde où tu vas! Quand on est le premier du pedibus, on fait bien attention.» Depuis le quartier résidentiel, le groupe descend une petite route encombrée de travaux. En bas, sur la route principale, on entend vrombir les moteurs des véhicules. Au moins, elle est dotée d’un trottoir. Après l’avoir longée, les enfants arrivent à bon port. Sa mission accomplie, Gilles Cérède repart d’un pas vif pour aller travailler. «Comme je suis représentant, j’ai une certaine liberté pour organiser mes journées et adapter mes rendez-vous ces jours-là.» Lui aussi valorise le pedibus, auquel il avait déjà participé avec ses deux filles désormais adolescentes. «Ce qui est intéressant aussi, c’est le lien social. On est dans un petit village où les gens se connaissent, mais parfois, des nouveaux viennent s’installer. Le pedibus permet de connaître les enfants et les parents.»
Un gain de temps pour les parents
Valérie Berthoud a lancé le système d’accompagnement à Chézard il y a 16 ans, et en est restée la coordinatrice. «Enormément de parents amenaient leurs petits en voiture, ça générait de plus en plus de trafic. Alors les autres, dont les enfants venaient à pied, se disaient qu’ils n’étaient plus en sécurité et se mettaient à les amener aussi en voiture. C’était un cercle infernal.» Les participants se rendent vite compte que c’est un gain de temps: sur huit trajets par semaine par exemple, si on en prend un ou deux, on est libéré pour tous les autres. Et en chemin, les enfants font des découvertes. «Ils regardent les escargots, les fleurs qui poussent, ils sautent dans les flaques. Ils sont tous heureux. Des fois, ils arrivent en chantant!» Les enseignants voient la différence: ceux qui viennent à pied sont mieux réveillés et ont l’esprit plus vif. De plus, en deux ans de pedibus, les enfants intègrent le parcours.
«Le pédibus n’est pas un but en soi, c’est une rampe de lancement vers l’autonomie», abonde Thierry Gogniat. Ce dernier est chef de projet de la campagne «A pied, c'est mieux!», initiée par le Canton de Neuchâtel, avec le soutien de Promotion Santé Suisse. Il fournit aux participants du matériel varié et des papillons d’information. Un adulte pilote jusqu’à huit enfants. Entre 20 et 30 lignes fonctionnent dans le canton, selon les années. «Je les connais tous personnellement Ça permet un suivi pour assurer la pérennité. Mais ce sont les parents qui s’organisent: c’est du civisme pur!» Quant aux communes, elles n’ont pas de lien direct avec le pedibus mais elles en perçoivent les avantages. Certaines envoient un petit mot de reconnaissance car elles constatent une diminution du trafic. Et elles songent à améliorer l’urbanisme en créant des chemins appropriés pour les écoliers.